Récit de Gaëlle qui a vécu 8 mois en Ouzbekistan. Ces lettres sont des e.mails qui racontent sa vie de tous les jours au pays des coupoles turquoise.
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Vendredi 18 juillet 2003: Mariage tadjik
Comment ça va la France ? J'espère
que bien. Ici, il fait très chaud (entre 35 et 45 degrés selon les jours), mais je ne m’en rends même pas compte, car le matin quand je pars au travail, il ne fait "que" 30-35 degrés, et le soir,
idem. La journée, l’office est heureusement sous air conditionné. Je vais déjeuner en ville parfois, c’est là que je comprends toute l’ampleur d’un 40-45 degrés Surtout ces derniers
jours...
J’avais promis de vous raconter mon mariage tadjik dans les montagnes. Je m’y attelle.
Tout s’est très bien passée. Le mariage se situait dans les montagnes, à 200 km au sud de Samarkand et à 120 km au nord de Termez,
ville frontière avec l’Afghanistan. Nous avons fait le voyage de nuit (7 heures de route), départ le samedi soir à minuit, arrivée dimanche matin à 7h00.
Nous étions 8 du voyage : Ziroat, ma chef , Narguiza (ma chère francophone), Liena (une Ouzbeked d’origine russe avec qui je m’entend
super bien), Edik, un guide francophone (à qui j’ai pris un malin plaisir de dire que si on rajoute un "a" à la fin de son prénom, ça donne le nom d’un célèbre dessinateur de BD français),
Fourkat, un guide germanophone (qui a joué le rôle de mon mari pendant 2-3 heures, je vais vous raconter plus loin), Farhoud, autre guide germanophone (qui avait oublié son passeport, je vais
aussi vous raconter plus loin), le conducteur (dont je ne me souviens plus du nom, pardon) et sa femme, une Ouzbèke malheureusement complètement effacée et qui n’a pas soufflé un seul mot de
toute la journée.
Sur la route, plus on se rapproche de la frontière afghane, plus les contrôles
sont fréquents et exigeants. La zone est relativement bien contrôlée (je dis bien "relativement"). Le soldat (ou flic ?) du premier contrôle nous a demandé nos passeports à tous. Farhoud n’ayant
pas son passeport, le soldat a refusé de rendre son permis de conduire au conducteur. Après quelques phrases de persuasion expliquant que nous étions tous collègues de l’agence Sogda Tour, qu’il
y avait une Française parmi nous (moi, en l’occurrence) et qu’elle était la "gost" de l’agence (cad, invitée), le soldat nous a laissés repartir.Le deuxième contrôle a été un peu plus
problématique, le soldat ne voulant rien entendre. Au début Ziroat et Edik sont donc sortis du minibus et l’ont assez bien joué sur ce coup-là pour persuader le soldat que nous étions pas des
terroristes afghans. Le fait qu’une Française fasse partie de l’assemblée a également joué en notre faveur.
Après ces contrôles et quelques arrêts "pastèques" au bord de la route, nous sommes arrivés chez Shavkat, épuisés mais émerveillés par le paysage. Vous vous souvenez de toutes les images
d’Afghanistan que l’on a vues lors de la guerre contre les Talibans, l’année dernière ? Et bien, c'était exactement le même genre de paysage, un peu désolé, un peu lunaire, un peu irréel et,
même, un peu effrayant.
La maison de Shafkat, le fiancé et également guide germanophone à l'agence, se trouve à 1800 mètres d’altitude, dans une sorte de cirque entourée de hautes montagnes dont certaines vont jusqu'à
4000 mètres. Une merveille. La terre est rouge là-bas, ce qui fait que toutes les maisons, construites en boue séchée, sont écarlates également.
Je me suis alors rendu compte d’une chose sur laquelle je n’avais pas réussi à mettre le doigt depuis le début de mon séjour ici et qui, néanmoins, me dérangeait. Il n’y a pas d’arbres en
Ouzbékistan. Ou plutôt, il n’y a pas de forêts. Pas même la plus petite forêt... Que ce soit dans les plaines (qui sont composées de déserts ou de steppes) ou dans les montagnes (dont le climat
est extrêmement sec, une chaleur à mourir en été et des hivers très rudes, cf. les montagnes afghanes ci-dessus citées). Et moi, en bonne Française habituée à notre climat humide (en tout cas
plus qu’ici) et à nos forêts immenses (en tout cas plus qu’ici), je me suis rendu compte qu’inconsciemment, j’associais le mot "montagnes" à "forêts" et non pas à "surfaces pelées sans aucune
végétation si ce n’est l’herbe".
Bref, après le premier thé du petit-déjeuner, Shavkat a insisté pour que nous commencions dès 9h00 du matin au plov montagnard (délicieux) et au vin (ou à la vodka pour les plus coriaces) que
nous sommes allés déguster sur les berges de la petite rivière, au bord de sa datcha.
J’avais emporté un maillot de bain, quel bonheur de se baigner (ma première baignade en Ouzbékistan) dans une eau pure de montagne. J’ai estimé l’eau à environ 12 degrés, d'après ma propre
expérience. Je sais que je peux facilement me baigner et nager relativement longtemps dans une rivière à partir de 15 degrés. La, je ne pouvais y rester plus de 5 minutes (comme dans les Gorges
du Verdon à l’Ascension).
Le repas a duré 3-4 bonnes heures, en comptant la baignade et le repos digestion qui s’en sont ensuivis. Puis, Shavkat devait aller chercher sa fiancée chez les parents de cette dernière,
tradition qui s’accomplit de façon très officielle. Il tenait absolument à ce que j’assiste à "leurs traditions" à 100%, mais le fiancé qui va chez ses futurs beaux-parents pour aller chercher sa
belle ne peut être accompagné, en principe, que par ses amis mâles.
Il m’a donc expliqué qu’il dirait à sa belle-famille que j'étais son ex-femme (ce qui paraissait relativement plausible, puisqu’il en était à son 4ème mariage) avec qui il avait gardée de très
bons rapports. C'était tout à fait normal car, dans ces contrées où la polygamie était autrefois permise, j’avais finalement le rôle de la première épouse qui choisit une nouvelle jeune épouse
pour son mari (Shavkat a 35 ans, sa nouvelle femme en a 21...).
Nous sommes partis en tout début après-midi, et Shavkat m’a dit, dans la voiture qui nous emmenait là-bas, que la tradition voulait que la belle-famille m’offre alors, pour l’occasion, quelques
cadeaux (que je n’ai pas eus en fait, car ils étaient pas prévenus de la présence de cette "ex-femme"). Fourkat, qui est un garçon désopilant, a alors fait semblant être jaloux et de vouloir
recevoir également quelques petits cadeaux. Il a alors décrété qu’il était mon nouveau mari et qu’il pourrait ainsi recevoir quelques présents à son tour.
Voila comment je me suis retrouvée, en moins de 5 minutes et sans avoir pu le prévoir, avec un ex-mari tadjik, germanophone et musulman (Shavkat) et un nouveau mari tadjik, germanophone et
évangéliste (Fourkat).
Pas mal, hein ?
(Suite)